Un article du Code civil modifié à la marge, et c’est tout un pan de l’économie française qui bascule. La loi PACTE, promulguée en mai 2019, a modifié l’article 1833 du Code civil en intégrant la notion d’intérêt social et la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux. Ce changement marque un tournant pour les entreprises françaises, désormais tenues de concilier performance économique et responsabilité élargie.
La possibilité pour une société de se doter d’une raison d’être statutaire, introduite par le même texte, bouleverse les pratiques classiques de gouvernance. Les conditions et conséquences de ces évolutions juridiques transforment les attentes vis-à-vis des dirigeants et impactent la vie économique au quotidien.
La loi PACTE : origines, objectifs et enjeux pour l’économie française
Aborder la loi PACTE, plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises,, c’est revenir sur l’un des chantiers législatifs les plus marquants du quinquennat. À l’origine, un diagnostic sans appel : le droit des sociétés à la française, hérité d’un autre temps, ne répondait plus aux défis du présent. La commission Notat-Senard, en dressant ce constat, a ouvert la voie à une refonte profonde. On y pointait l’incapacité du cadre juridique à intégrer pleinement les enjeux sociaux et environnementaux dans la stratégie des entreprises.
Deux avancées majeures découlent de ce texte. Premièrement, l’article 1833 du Code civil a été remanié pour contraindre chaque société à agir dans son intérêt social, tout en tenant compte des effets de ses choix sur la société et l’environnement. Deuxièmement, le statut de société à mission offre aux entreprises la possibilité d’inscrire une raison d’être dans leurs statuts, engageant ainsi leur gouvernance sur de nouveaux terrains.
Derrière cette réforme, une ambition claire : transformer l’entreprise en acteur pleinement engagé dans la vie économique, attentive aux attentes de toutes ses parties prenantes. Les nouveaux équilibres qui en résultent déplacent les lignes entre actionnaires, salariés, fournisseurs et territoire. Les effets se font déjà sentir sur le terrain, où la dimension sociale et environnementale s’impose dans les discussions stratégiques.
Voici les axes principaux sur lesquels la loi PACTE a agi :
- Pacte intérêt social : intégrer l’intérêt collectif dans chaque prise de décision n’est plus une option, mais une obligation.
- Considération enjeux sociaux : les organisations doivent désormais répondre à de nouveaux critères d’appréciation, bien au-delà du bilan comptable.
- Réforme du droit des sociétés : le droit s’ajuste, s’ouvre à la réalité d’une économie mondialisée et d’un capitalisme en transformation.
La loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises a ainsi provoqué un déplacement du centre de gravité du droit des sociétés. Elle favorise l’émergence d’entreprises qui scrutent leur impact global et réinventent leur rapport au monde économique.
Qu’est-ce que la raison d’être et comment redéfinit-elle l’intérêt social des entreprises ?
La raison d’être s’est installée, en quelques années, comme un repère fort dans la mutation du capitalisme hexagonal. Son entrée dans le code civil grâce à la loi PACTE a fait voler en éclats la vision limitée de l’intérêt social. Désormais, l’entreprise ne se contente plus de générer de la valeur pour ses actionnaires. Elle se positionne comme un acteur qui s’interroge sur sa contribution à la société et à l’environnement, sur sa véritable finalité.
L’article 1835 du Code civil permet aux sociétés de traduire leur mission dans leurs statuts, sous la forme d’une raison d’être. Un choix qui engage : les dirigeants doivent dorénavant argumenter leurs décisions à l’aune de cette mission, et plus seulement au regard du rendement financier. Ce n’est pas un simple effet d’annonce. Le Conseil d’État, en étudiant la réforme, a insisté sur cette dynamique : la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux devient un nouvel étalon pour juger la légitimité des choix de la gouvernance.
Ce mouvement concerne toutes les formes d’entreprises, des groupes cotés aux sociétés familiales. Des exemples emblématiques existent déjà : Danone, la Maif… Certaines ont franchi le pas de la raison d’être, d’autres même celui de la société à mission. Pour ces organisations, l’exercice va bien au-delà d’un slogan. C’est tout le dialogue avec les parties prenantes qui se transforme, du conseil d’administration jusqu’aux salariés et aux collectivités locales. L’entreprise, en quête de sens, revoit les termes de son contrat social.
Nouvelles règles de gouvernance : quels changements concrets pour le fonctionnement des sociétés ?
L’équilibre des pouvoirs en entreprise a changé de visage sous l’impulsion de la loi PACTE. Le fonctionnement interne des sociétés s’éloigne d’une logique purement actionnariale. L’intérêt social, enrichi de la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux, irrigue désormais chaque étape du processus décisionnel. Le conseil d’administration, longtemps centré sur les finances, doit désormais intégrer la dimension durable dans tous ses arbitrages.
La révision de l’article 1833 du Code civil place l’activité de la société sous le signe d’une responsabilité élargie. Les débats en conseil d’administration prennent une autre dimension : un projet d’investissement, une réorganisation ou une cession ne peut plus s’évaluer uniquement à l’aune de la rentabilité immédiate. Le rapport Notat-Senard l’avait annoncé : il faut désormais formaliser les critères extra-financiers lors de chaque décision stratégique.
Voici les nouveautés concrètes qui s’imposent dans la gouvernance :
- Analyse systématique des risques environnementaux associés à l’activité de l’entreprise
- Dialogue renforcé avec les salariés et l’ensemble des parties prenantes
- Traçabilité et justification des décisions de gouvernance, bien au-delà des exigences classiques
La loi Pacte a également introduit des dispositifs tels que le fonds de pérennité, outil qui facilite la transmission d’entreprise tout en consolidant la stabilité de l’actionnariat. Cotées ou non, les sociétés sont désormais poussées à repenser leur organisation interne. Le droit, la stratégie et la responsabilité sociale tissent ensemble une nouvelle toile de fond pour l’entreprise d’aujourd’hui.
Rien n’est figé : la loi PACTE a ouvert un champ d’expérimentation. Les entreprises françaises explorent, tâtonnent, réinventent. Et, dans ce mouvement, c’est la société tout entière qui apprend à conjuguer performance, responsabilité et sens.